vendredi 31 octobre 2014

L'UNIVERS DE... LYDIA PADELLEC



PORT-LOUIS



J’apprivoise le chemin d’herbes. La terre friable glisse par endroits. Les rochers couverts de lichen semblent bouger au soleil. Ombres dansantes des nuages. Quelques mouettes gémissent au loin sur l’île aux Souris. La marée est basse et des flaques scintillent entre les algues noires.

Je me suis assise sur un rocher face à la mer. Le soleil et une petite brise sur le visage. J’ai regardé la mer et j’ai commencé à dessiner des mots en pensée. Ils avaient la forme d’une île, chaque syllabe le grain de sable d’une plage encore déserte. Ils avaient le bruit léger des vagues, le froissement des ailes dans le bleu.

Puis j’ai regardé mes mains. Paume tournée vers le ciel. Les veines comme des branches fines dépourvues de feuilles. Arbre d’hiver figé dans la neige de la mémoire. Le visage flou d’une petite fille qui me ressemble. Joue-t-elle encore dans un coin de ma tête ?

Les yeux se plissent. La lumière dans les mains ricoche sur les ridules des rochers.  Déjà huit ans et les souvenirs qui s’effilochent. Un papillon blanc volète tout près de moi. Il semble venu du large. Messager du silence.

La mort n’a pas de visage. Quand elle vient, pourtant, on la reconnait.

J’aspire profondément. La brise iodée parfume mes lèvres. Derrière l’ile, le bleu immense. Mer ou ciel, on ne sait. La ligne d’horizon disparaît dans la brume qui se lève. Le cri d’un oiseau déchire l’espace. J’attends le poème et ce baiser qui ne viendra plus.  

  


lundi 27 octobre 2014

Verso n°158





SOMMAIRE

marie-laure adam
claude andruetan
emmanuel baillia
valérie canat de chizy
françois charvet
raymond delattre
hubert fréalle
hubert gréaux
alain guillard
jean-michel guyot
miloud keddar
kiko
xavier lapeyroux
gérard lemaire
lodi
simon mathieu
myriam monfront
lydia padellec
christophe petit
barbara savournin
william shakespeare
jean-marc thévenin
jacques valette
marie vallon
jacques vincent
frédéric vitellio


préface par alain wexler

Aux lèvres, la terre & le ciel

Des pommes poussent dans le ciel, la nuit tangue avec la barque où l’on dort. La terre & le ciel fondent dans la bouche où des étoiles finissent leur course. Espace merveilleux où des hirondelles passent à travers des miroirs. Je vous invite dans l’espace-temps. Quelqu’un s’est donné la mort sur un disque. Nous courrons un risque mortel en l’écoutant. Mais que disent-ils mais que disent-ils ?
Valérie Canat de Chizy intègre au paysage des mots suspendus. Miloud Keddar fait peut-être allusion à la Pythie avec cette formule : Toujours l’humus du rêve à saisir dans le tremblement de l’ouvert. Ainsi que Jean-Michel Guyot : A mots ouverts, découverts, tisonnés, chahutés, tardifs, si tardifs, et si pleins de ciel et de terre, d’eau et d’air. On sent comme un doute lancinant chez Xavier Lapeyroux qui écoute le disque de la mort. Lui-même aurait pu disparaître avec une chanson. Puis ce sentiment dans le texte suivant se mue en étouffement  :  aucun mot ne parvient à passer plutôt de lourdes pierres ou des os à tomber dans le fond de ma gorge et ma réponse sous elle-même ensevelie.
Un commis voyageur a laissé une valise dans la maison de Jacques Vincent qui veut creuser l’espace du dessous, alors Des hirondelles franchissent le silence où nul n’ose encore s’aventurer. En explorant l’Histoire, Marie Vallon vante des labours fabuleux, des livres de terre. Je cite plus loin : nous fûmes cet allant de terre et de ciel. Elle dit aussi la spiritualité de la terre. La formule peut être un raccourci de l’œil à la pensée quand Hubert Gréaux écrit : Une pluie de ciel disparaît dans la flaque. Et François Charvet : Il y a un lieu où s’accordent l’iceberg qui se rompt et le cil que je souffle sur ta joue. Lieux extraordinaires que les bords de Loire où Hubert Fréalle campe un voyage presque alchimique  : quand il faut lancer départ ! il nous faut y mettre le bois l’essence des choses la flamme de compagnie la pesée des mots pour le dire...
Ferais-je de la métaphysique sans le savoir ? Possible que l’essence des choses, quelque temps, rôdât entre nos lèvres ! Marie-Laure Adam soulève ce voile : On croirait que c’est l’étoffe : c’est la peau au-dessous. Cette imbrication du corps, des mains dans les activités de l’esprit s’impose à chaque page sans doute. Lydia Padellec : Des mains ouvertes sur la pensée / Tu avances à pas de vent. Et Kiko : Je suis là / Je suis souffleur / Je peux / J’ose dire / C’est plus beau c’est un soupir / De jour comme de nuit nous errons sur les planches.


valérie canat de chizy

Membranes

L’arbre accroche les pommes
Dans le ciel.
C’est très haut.
Il lui faut une échelle.
La peau rougeoie et luit.
Entre les branches des trains passent.
Des rails, des gares. Le paysage défile.
Elle se demande si la membrane
Sera suffisamment épaisse et translucide.
Dans son ventre le chat dort.
Pourtant son œil parfois s’arrondit et la fixe.
Où s’arrête le paysage ?
L’œuf tangue.
Le liquide dans son bocal aux parois élastiques.
Il est permis de se mouvoir, d’étirer longuement ses membres.
Maintenant, elle peut voir de l’intérieur.


emmanuel baillia

Sur un air brésilien
(Gainsbourg, « ces petits riens » 1965)

Mieux vaut ne rien penser que d’penser contre vous,
Ne pas penser que d’le penser par vous,
Plutôt n’plus rien penser que de vous comme un fou
Ne plus penser que d’penser ça de vous,

Mieux vaut te délaisser que d’te prendre pour ça,
Te déserter que d’te réduire à ça,
Plutôt ne plus aimer que d’aimer envers toi,
Filer à l’anglaise pas en vers à soi

Mieux encore ton absence qu’une absence de trêve,
Manquer d’étai que de s’en faire un glaive,
Mieux vaut un peu d’ennui qu’un plein de barbarie,
Rien entamer qu’aller jusqu’à la lie

Mieux encore l’ignorance que les exécutions,
L’indifférence que la comparution,
Mieux encore le silence qu’un jet de vitriol,
L’absence d’échanges, qu’un devoir de paroles

Mieux aller nulle part qu’aller à ton insu
M’priver d’élan que d’subir ton raffut
Mieux aller sans boussole que de toucher ton pôle,
Car je m’y fiai et m’y rendis bien fol


françois charvet

Le ventre est sous la pierre
et patiente
et mûrit son instinct d’obscurités
d’hivers
d’incantations
sous la pierre le ventre ourdit sa saison
la forge qui l’entreverra
soulevée
et saura l’éclair
la main nue au soleil reverdie
mordue
tremblante sur la peau de Mai
si frêle
dans les pierrailles du muguet
venue boire au ventre sous la pierre
vipère
source gorgée d’élans
l’éveil de l’immaculé


HUBERT FREALLE

il lui faut une Pelle
symbolique
magique/alchimique
pour avancer son chemin d’eau
d’homme et de temps
pour creuser sa Voie Humide
odysséenne
de la Surface à la Profondeur
en acceptant tous les sacrifices
les transformations
la plainte en pente douce
à peine

pour la saisie nue de l’essen/ciel
pour de savantes et solides humanités

pour un Grand Jour dans la Grande Nuit !


marie-laure adam

L’étoffe

On croirait que c’est l’étoffe : c’est la peau au-dessous.
L’étoffe est lourde, opaque, elle tombe en volutes régulières sur le corps, elle le dessine et le voile. Le corps pourrait être une courbe qui n’en finit pas, il pourrait être un aveu.
L’étoffe est là. Sur, autour du corps. Sur et autour de la peau.
Quelle est-elle cette peau ? Un chemin de douceur, le voile du désir? On voudrait croire que c’est ce que l’on voit qui rend le désir si grand, on voudrait ressentir cela, ce qui est vu est d’égale ampleur à ce qui est désiré. Mais il n’en est rien, le désir est enfoui, il est enfoui en nous. En même temps dans et hors de. Cette peau inaccessible à la vue : en nous ce qu’elle peut-être, ce qu’elle peut donner d’espérances. Mais il ne faut pas tendre la main pour ôter le voile, non, il faut rester dans cet espace suspendu, où la promesse se fait plus lointaine, à jamais voulue, à jamais espérée, à jamais souhaitée. Il irradie alors de ce qui ne peut, un bonheur fait de brumes et d’éparpillements.
On regarde l’étoffe, et l’on se perd dans ses plis, dans son mouvement, dans ce mouvement du corps, qui s’imprime là, à nouveau, à chaque geste.


LYDIA PADELLEC

La robe s’échappe d’un corps
la feuille éclipse la lune
et la vitre reflète le grain de peau
de l’arbre dénudé

*

La robe s’échappe encore
et l’automne n’en finit pas
les fils se tissent et se défont
au bon vouloir des oiseaux

*

La robe sautille après le soir
et file le parfait amour
avec le caméléon bavard
caché dans ses motifs


xavier lapeyroux

Smog

Je mets dans la platine le disque sur lequel il s’est donné la mort je ne sais pas ce qui m’attend

Monte une voix profonde chaude et grave d’aucun lieu une voix d’aucun temps la musique en coulée de lave incandescente semble soudain braquer ses yeux brûlants sur moi

Le disque dans la platine joue sa musique de mort sa belle musique de mort et j’attends qu’elle me prenne à mon tour pour finir

Je suis assis j’attends ne sachant sous quelle forme cela doit arriver dans la douleur ou bien une torpeur apaisante

La musique chaude et lente continue d’avancer et je ne vois rien venir seulement là à sentir mon cœur dans la fournaise à écouter ses pieds nus crépiter aux braises qu’il a dû traverser

Le disque coule et j’attends qu’il me fasse disparaître une chanson puis une autre encore une et une autre pour me faire disparaître

Mais quand tombe la dernière note du dernier morceau je suis encore ici incrédule à n’avoir toujours pas cessé d’être

lundi 2 juin 2014

L'univers de... Marilyse Leroux

J’ai huit ans. J’aime dire que j’ai huit ans. Même si ce n’est pas toujours vrai. Cette fois, ce serait plutôt onze. Lui a le double si je vérifie les dates. J’ai déjà commencé à dessiner et à peindre avec trois fois rien. Une façon d’approcher ce que j’ai vu, ce que d’autres ont vu, ou pas encore.

Les couleurs, je les ai dans les yeux depuis toujours, entre côte et campagne. Courir les prairies et les haies d’aubépines fut au départ ma seule passion. Jusqu’au jour où des mots magiques me tombent dans l’oreille, ceux d’Alfred de Musset, la lune, blonde, comme un point sur un i, ceux de Victor Hugo, nuages noirs, dont le biniou hurle sur la lande.

Mots et couleurs scellent leur pacte sur un cahier d’écolier : terre de Sienne, ocre brun, rouge carmin, rouge vermillon, bleu cobalt, bleu outremer… Cette magie, mêlée de terre et d’eau, est la mienne. Sous la casquette amarante de René Char, le soleil vert de Saint-John Perse, devant les nus bleus de Matisse ou l’âne rouge de Chagall, depuis, j’ai appris d’autres nuances, d’autres alliances, mais le saisissement reste le même.

On me dit que j’écris comme on peint, par touches successives. J’enlève peu, il est vrai, j’ajoute à petites pattes jusqu’au point d’équilibre.

J’ai onze ans donc, puisque chez mes parents il n’y a aucun livre. En tout cas aucun de ceux-là. Le monde entier tient dans la bibliothèque de la grande ville, je sais quel rayonnage m’attend.

Le livre vient de s’ouvrir à la même page sur mes genoux : il est là, aussi fort, qui m’éclate au visage. Je suis avec lui, contre lui, il n’y a plus de fenêtre, l’air l’a effacée.

Dans l’effusion des couleurs, est-ce le bleu ou le blanc qui m’a prise ? Ou la révélation de l’un par l’autre ?

C’est la même efflorescence, les mêmes noces au-dessus de ma tête. Il se tient là, bien droit, sûr de lui-même et de son allégresse. Présent. Puissant. Sa jubilation n’a pas d’âge sur le ciel ébloui.

Je ferme les yeux. Qu’y a-t-il de changé aujourd’hui ? Quel écart au fond de moi ?

Je m’allonge à nouveau dans l’herbe-soleil. Je m’auréole de bleu, de blanc, sous la nuée, je laisse le rouge picoter mes mains, l’ocre m’enluminer les pieds. Jaune, mauve, rose, vert… je ne sais quel accord me parle le plus tant les nuances exultent leurs différences. Leur commune singularité. Elles se touchent à peine, chacune résonnant de l’appel de l’autre.

Équilibre parfait de la grâce qui se donne sans compter.

Il y a du noir aussi dans cette grâce, un noir qui connaît la légèreté, qui la porte où il faut. Entre ciel et terre.

Entre lui et moi.

Un souffle peut suffire à exalter l’espace, je le sais, je l’ai toujours su. Je respire, je le respire, sa corolle gonfle mes poumons. Et m’élève où je dois aller. A la source de l’histoire.

D’un bond, mon amour a sauté sur la première branche. Un amour surgi de l’innocence heureuse. Une évidence du seuil.

Cette explosion de vie, était-ce lui ? Était-ce moi ?

Si parfaits. Ensemble.

Je me revois, fillette éperdue devant ses tubes de couleurs, le pinceau surpris d’être là. J’ai retenu la magie de l’arbre sur mon ciel de papier. Celle des yeux aussi qui m’ont fascinée : « Chaque printemps, il me force à le peindre », disait-il. Ses mots résonnent en moi comme autant de points blancs.

Je ferme l’album. Le dernier Amandier en fleurs de Pierre Bonnard, l’arbre bleu comme je l’appelle, rayonne de toutes ses fibres. Vivant à jamais. Fidèle et changeant. Comme le premier âge. 



Verso n°157



Sommaire du n° 157

Claude Andruetan  Thanassis Hatzopoulos  Miloud Keddar  Thomas Pourchayre 
Marie-Laure Adam  Henri Chevignard  Sylvie Righetti  Jacquy Joguet  éric Chassefière
Jean-Pierre Parra  élisabeth Rossé  Line Szöllösi  Muriel Carrupt  Daphné Van Hansen
Arlette Perussie  Marilyse Leroux  Carole Dailly  Georges Chich  Kiko  Olivier Millot
Jeanpyer Poëls  Franck Reinnaz  Pierrick Steunou  Françoise Rodary  Jean-Michel Guyot
Jean-Michel Hatton  Mermed  Gérard Lemaire  Armelle Leclercq  Roland Dauxois
Grégoire Damon  Bernard Deglet  Raymond Beyeler  Philippe Jaffeux  Mickaël Pierre

Chroniques : Marinette Arabian  Lorraine Pobel  Jacques Sicard, le cinéma  Miloud Keddar
Chr. Degoutte : les revues  Lectures de  Béatrice Machet-Franke  Valérie Canat de Chizy  Jean-Christophe Ribeyre   Alain Wexler

 

PREFACE PAR ALAIN WEXLER

 
Coulent couleurs et sable

Ce que tu ne vois, un prisme le révèle. Ainsi l’arc en ciel, 3 primaires,  3 binaires plus l’indigo ! Ou le calcul, c’est à dire le caillou, né du va et vient de l’eau. Une vague conçoit les courbes d’une nageuse, comme le ressac, les dessins troublants et les couleurs des cailloux qui ne cesseront de changer tant que durera leur polissage, dont il ne restera que du sable.
Miloud Keddar dit le vertige du sable et sa connaissance. Sable impalpable comme la lumière. Nous sommes issus de la lumière comme les couleurs. La lumière qui nous fait voir et nous aveugle.
étrange comme ce monde tourne : l’arc en ciel révélé par un voile de pluie, la lumière décomposée par un tesson de bouteille et cette dernière faite de sable que tu remplis d’eau claire ! Je voyais tout cela couler comme un fleuve, le sable, les couleurs et le temps  !  « L’horizon : le soleil / le soir / ta couleur / coule » dit Thomas Pourchayre.
Supposons dans cela les causes premières et les fins ultimes telles que l’hydrogène, matière du soleil, source de lumière, dont la combustion, ici-bas, produit de l’eau...
Au profond de toi, tu entends la mer. La porcelaine que tu colles à ton oreille n’est qu’un amplificateur. Pourtant la mer est en toi. Sous la laine de la femme. Avec le sel. (Jacquy Joguet, Eric Chassefière)
Soit ! Associons le sable au temps. Sans doute les déserts de sable ont connu plus de temps que d’autres lieux ! Absurde et séduisant ! Seraient-ils déserts parce qu’ils avaient épuisé leur temps ? (Synthèse jusqu’à Jean-Pierre Parra) Le tic tac du temps est mécanique trompeuse à travers ses parades musicales et poétiques qui finissent en chansons. Elisabeth Rossé réussit un tour de force à partir des lettres F, G et B. C’est un fleuve, c’est une guerre, ce sont des bêtes dans une arche de Noé générale.
[19 auteurs m’ont inspiré cette préface, plus bien sûr, mes élucubrations habituelles. Cette préface ne concerne ni Cl. Andruetan ni Th. Hatzopoulos.]

**

Thanassis Hatzopoulos



NOMS D’HUMAINS: LE LIEU (variation)

à mon père

Mon lieu de naissance ne me porte plus
J’ai rapetissé en grandissant et le siècle
Roule dans sa boue
Enfantine boule de cristal sur un mont rasé
Là où durant des jours il neige des nuits

Je suis perdu dans leur dedans, devenu fantôme
En d’anciens mouvements et un paysage
Bouge fugitivement dans la mémoire
D’un lieu vacant


Dans le présent sédimente
Regardant avec étonnement et surprise
Un enfant vainement nu dans le froid
Et seul

**

Marie-Laure Adam



Couleur enfouie

Vider la couleur sinueuse
qui a pris forme sur tous les supports
racler les nuances de toutes les surfaces
polies, granulées, existantes ou hallucinées

ôter la couleur
si l’on veut échapper à la force
de ce qui inspire, séduit, donne sens
sans prendre le temps de compter
ce qui s’écoule vers

pourtant ce son ces notes
qui donnent vie
au regard,
petites syllabes métaphoriques
qui dans le chant sont autant de mélodies

couleurs de mon enfance à mes joues
enflammées d’innocence
couleurs des rêveries sur l’infini azuré
en soi lumière vive qui reprend tout
brasse tout pour être une


**

Sylvie Righetti


slips et soutifs au pif avec les blancs
le déshabillé se fait désirer, peur d’être mouillé
le pull saute rapidement il aime les bulles
le pantalon tourne en rond il ne sent pas bien bon
la robe virevolte et plonge dans le tambour
le corsage moins sage ouvre son décolleté avant d’y aller
les chaussettes se joignent au cortège en faisant la ribambelle
et en chantant la ritournelle
hop hop les culottes, direction le propre
les chemises sont en cheville avec la lessive
quelques petits tours n’entachent pas leur réputation d’homme
programme court pour un petit séjour

**

Muriel Carrupt


Elle monte
Je sais qu’elle va au même endroit que moi
Teint pâle de circonstance
Maigre transparente
Noir des ongles au rimmel
Je ne la connais pas
Elle me regarde
Elle sort un mouchoir
Geste de grande mère
Elle le sait
Elle doit avoir vingt ans
Elle justifie son mouchoir par quelques sécrétions lacrymales
Je souris
Quelle effronterie
Quelle délicatesse
Elle sort
Je la suis
Je rentre elle est derrière moi
La famille est toujours sur les premiers rangs
Je cherche dans ma poche
Pas de mouchoir
Je sors.   


**

bernard deglet

 

      Je m’habillais pour aller le voir, je mettais une cravate, je voulais bien souffrir pour lui. Il me demandait de me mettre nu, d’attendre, de me taire, de bien vouloir souffrir, J’attendais, je me taisais.

Tôt ou tard  je le voyais se lever, enfin, franchir la toile invisible qui le séparait de la toile, et se mettre à peindre.

Ils ont à ce moment là des gestes de danseurs, des gestes d’anges. Ils vivent une aventure que nul ne peut connaître au sol, aventure d’oiseau, jouissance d’aigle.

J’ai vu se déployer grâce aux peintres cette puissance qui explique tellement de choses, le sexe, la guerre, la cruauté, la tendresse, la finesse, l’irracontable. Et cette force, cette puissance, vous la recevez, vous la buvez, il y a une fusion instantanée qui fait que vous êtes un autre homme, comme si vous aviez vu Marie, posé sur le socle du peintre vous êtes Salomon sur un trône, c’est le pouvoir de tous les artistes, cette force qu’ils vous communiquent, on est devenu un roi, on a une importance inouïe.

Vous êtes nu face à eux, vous êtes nu et il vous semble que vous êtes vêtu d’atours somptueux.

Allez poser pour ce peuple d’hommes qui s’occupent de découvrir le monde. Ils peignent le nu.